Comment la faune sauvage réagit-elle à cette situation exceptionnelle ?
Les spécialistes du climat considèrent que le printemps a commencé le... 21 février ! De fait, en ce premier jour de printemps calendaire, le bilan climatique hivernal est sans équivoque : avec 7,9° C de température nationale moyenne, l’hiver dépasse de 2,3°C la normale saisonnière. Selon les données de MétéoNews, c'est l'hiver le plus chaud observé en France depuis les premiers relevés météo en 1900.
La notion de biodiversité englobe les interactions entre les organismes et leur milieu, leur nourriture : le démarrage d’activité trop précoce en fin d’hiver est complexe ; une désynchronisation des écosystèmes peut conduire à la disparition d’une espèce. Indicateurs de 1er ordre du changement climatique, les oiseaux ont présenté des comportements inhabituels cet hiver. Généralement annonciateurs du printemps, les chants de certaines espèces sont pourtant parvenus à nos oreilles très en avance. C’est le cas des mésanges charbonnière et bleue, de la grive musicienne, du pouillot véloce, de la fauvette à tête noire et même du pinson des arbres et du merle noir, dont les premières nichées ont eu lieu début mars alors qu’elles s’effectuent en avril théoriquement.
Variation de températures, pics de bourgeonnements, des impacts déjà visibles sur l’avifaune
Évolution des phénomènes migratoires
Il est possible que la douceur hivernale en Europe de l’ouest ait incité nombre de canards hivernants à stationner plus au nord sans avoir à descendre jusqu’en France, qui servait jusqu’alors de refuge climatique. A contrario, un nombre important d’hirondelles rustiques ont hiverné en France cet hiver, au lieu de le passer en Afrique. Ce phénomène encore imperceptible l’an passé, semble s’être particulièrement accentué ces derniers mois. C’est du moins ce que constate Philippe-Jacques Dubois, spécialiste de l’avifaune et du changement climatique au travers des données collectées par le programme de sciences participatives Visio Nature.
Modification des aires de répartition, des interactions entre espèces
Pour Frédéric Jiguet du MNHN, lors des hivers doux, on observe une distinction notoire entre oiseaux migrateurs et oiseaux sédentaires. Ceux restés sur place (merles, mésanges, troglodytes …) sont plus nombreux : ils ont bénéficié d’un pic de nourriture lors de l’éveil de la végétation et la reproduction a débuté plus tôt. De plus, les espèces thermophiles (qui aiment la chaleur) sont avantagées par l’hiver doux qui augmente leur survie hivernale et donc leurs effectifs.
Les oiseaux migrateurs en provenance d’Afrique vont devoir faire face à une compétitivité accrue, fragilisant l’équilibre entre ces deux communautés. Le coucou est un exemple emblématique de ces modifications : lorsqu’il revient de migration, les oiseaux sédentaires qu’il est censé parasiter, ont déjà pondu. Du coup, il est contraint de se reporter sur d’autres espèces qui arrivent en même temps que lui : pouillot, rousserolles… qui le démasquent très vite.
Impact sur la reproduction, stratégie de parasitisme évitée, changement de stratégie de migration à moindre distance sont autant d’indicateurs qui impactent les communautés d’espèces avifaunes.
Des insectes aux mammifères, toute la biodiversité est concernée par le réchauffement, même si beaucoup d’incertitudes subsistent
La douceur de l’hiver n’a pas impacté négativement les trop rares ours des Pyrénées, bien au contraire : sortis d’hibernation précocement, ils ont profité d’une forte disponibilité de leur alimentation. En revanche, une désynchronisation néfaste a été observée chez les chauves-souris. Pierre Rigaux du SEFPM souligne ainsi qu’une plus forte activité hivernale en dehors des grottes a été notée, notamment chez les pipistrelles. Or, une chauve-souris éveillée doit manger : les conséquences de cette activité inhabituelle consommatrice d’énergie sur la future reproduction des chauves-souris ne sont pas encore connues.
Pierre Zagatti, de l’OPIE, est bien placé pour savoir qu’elles auront des difficultés à s’alimenter, leur régime étant constitué d’insectes. Favorables au développement des micros organismes qui perturbe leur cycle de développement, les insectes pourraient être en grande majorité victimes de cet hiver doux. En hiver, les insectes sont généralement au stade de développement œuf ou nymphe. Si l'hiver est trop doux et humide, ces stades immobiles sont davantage victimes de microorganismes pathogènes (champignons notamment).
D’autres effets collatéraux pourraient être observés : la reproduction des petits rongeurs forestiers (mulots, campagnol roussâtre) est dépendante de la fructification des arbres. Qu’en sera-t-il cette année ? Les campagnols de montagne ont quant à eux besoin de l’effet tampon de la couche neigeuse qui les préserve lors des vagues de froid soudaines.
Qu’en sera-t-il de leur survie et de leur reproduction ?
La douceur relative et le raccourcissement de l’hiver, associés aux activités humaines, peuvent contribuer à un phénomène de désynchronisation néfaste. L’exemple de la tortue d’Hermann est éloquent. Pour Sébastien Caron de la SOPTOM, un hiver doux peut induire une sortie précoce d'hibernation en février ainsi que des réveils hivernaux demandant aux animaux de puiser davantage dans leurs ressources/réserves corporelles. La loi autorisant le débroussaillement en milieu naturel entre novembre et fin février, période durant laquelle la tortue est normalement enterrée, une sortie précoce peut également provoquer des risques accrus de blessures/mortalité.
Des conséquences principalement négatives
Cet hiver doux à surtout des effets ambivalents voire négatifs : le printemps nous confirmera ou nuancera les impacts qui sont pressentis par les spécialistes. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’une modification du comportement d’une espèce, à priori bénéfique à court terme, entraîne un effet papillon sur les autres composantes de son écosystème. Les conséquences d’un hiver doux imprévisible sont susceptibles de déséquilibrer l’ensemble des écosystèmes qui inter agissent.
Dans la même veine, on a vu des cerisiers qui fleurissaient sans une abeille sauvage pour les féconder, déjà ou pas encore sorties ! Même dans les cas les plus simples, on peut observer des désynchronisations malsaines : une chenille par exemple se nourrit d'une plante abondante dans son milieu ; on peut penser que c'est une situation stable dans le temps. L'expérience montre qu'en fait la toute jeune chenille ne peut se nourrir que des toutes jeunes feuilles, avant que la plante n'ait eu le temps de synthétiser des composés toxiques comme les polyphénols. En grandissant, le métabolisme de la chenille « apprend » à détoxifier ces composés. Dans le cas où les cycles sont déréglés et que la plante a débourré bien avant l'éclosion des jeunes chenilles, eh bien l'insecte ne peut plus se nourrir, la plante nourricière est devenue toxique…
Le nœud du problème est la régulation des cycles saisonniers chez les êtres vivants dans nos zones à hiver marqué.
Parfois bénéficiaires mais souvent victimes, les espèces sont directement impactées par le réchauffement climatique. Nous commençons tout juste à en mesurer les effets…
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