Philippe Jourde répond à nos questions sur l’impact de la pollution sonore sur la biodiversité.
Qu’appelle-t-on « la pollution sonore » ?
« Il s’agit d’une nuisance acoustique, d’un bruit, généralement issu d’activités humaines, qui engendre une gêne. La pollution sonore est perçue de façon variable selon les individus et les circonstances. Ainsi, un amateur de rock se réjouira des décibels émis lors d’un concert en plein air, alors qu’un riverain souffrira probablement de la violence des ondes sonores qu’il subit.
Le bruit, à des niveaux élevés, est un enjeu de santé publique majeur. Il a des effets nocifs sur la santé humaine en provoquant stress et troubles du sommeil. Il a par ailleurs des effets sur les systèmes cardio-vasculaire, immunitaire et endocrinien, sur les facultés cognitives et les capacités de mémorisation.
La pollution sonore est aujourd’hui omniprésente dans notre environnement et il n’existe quasiment plus aucun espace vierge de sons d’origine humaine en France métropolitaine et très peu sur la planète. Elle prend la forme de bruits liés aux trafics aérien, routier et nautique, aux travaux agricoles ou forestiers, à l’utilisation de tronçonneuses, de tondeuses, d’alarmes, etc. En de nombreux endroits en France, le sillage sonore des avions de lignes est continu ou ne laisse que quelques minutes de quiétude par jour.
Quels sont ses impacts sur la biodiversité ?
La pollution sonore peut avoir des conséquences dramatiques sur les êtres vivants, pouvant aller jusqu’à la mort dans quelques circonstances. Le bang de certains systèmes militaires de repérage sous-marins ou ceux utilisés pour sonder la nature des fonds océaniques sont, par exemple, à l’origine de traumatismes mortels chez plusieurs espèces de cétacés.
Chez les oiseaux, on sait que le bruit du trafic routier affecte les densités de peuplement, en réduisant les possibilités de communication acoustique. Certaines espèces sont d’ailleurs contraintes de modifier la fréquence d’émission de leur chant pour émerger du capharnaüm acoustique de nos espaces urbains et périurbains. Or, chez de nombreuses espèces, les femelles choisissent leurs partenaires en fonction de leurs capacités vocales. Ces modifications peuvent avoir des conséquences non négligeables sur la survie même de certaines espèces.
Le même constat a été fait sur des chœurs de rainettes. Chaque passage d’avion interrompt les chants collectifs. Les conséquences de ces perturbations répétées plusieurs dizaines de fois par heure restent cependant à étudier.
De façon plus radicale, les canons effaroucheurs, très utilisés dans les campagnes, dissuadent de nombreuses espèces de nicher dans un rayon de plusieurs centaines de mètres, même si les habitats sont très favorables par ailleurs. Cela pourrait avoir un impact majeur sur des espèces comme l’Alouette des champs.
Comment peut-on agir pour limiter ses conséquences ?
La pollution sonore, c’est nous. Chacun peut donc réduire sa contribution à la cacophonie ambiante : adopter un véhicule électrique, opter pour les transports en commun, préférer le train à l’avion, limiter l’usage de véhicules à moteurs dans les zones naturelles, sélectionner son matériel en fonction de ses performances acoustiques (tondeuse électrique plutôt que thermique). C’est aussi éviter de faire hurler une radio au moment du pique-nique dans les bois, voire de crier soit même dès qu’on est dans la nature. Enfin, on peut adapter ses activités au calendrier et éviter d’avoir des activités très bruyantes durant les périodes sensibles comme la période de reproduction des oiseaux.
Philippe Jourde travaille au service Étude du patrimoine naturel de la LPO France. Il est par ailleurs preneur de sons et effectue des enregistrements un peu partout en France pour plusieurs projets d’édition sur les sons de la nature. »
Plus d'informations
Keizer G., 2010 – The unwanted sound of everything we want. A book about noise. PublicAffairs, New-York, 384 p.
Murray Schafer R.M., 2010 – Le paysage sonore. Le monde comme musique. Traduction révisée. Edition Wildproject, Marseilles, 411 p.
Hempton G., Grossmann J., 2009 – One square inch of silence. One man’s search for natural silence in a noisy world. Free Press, New York, 356 p.
Popper A. N., Hawkins A., 2012 - The effects of noise on aquatic life. Advances in experimental medicine and biology. Springer, New-York, 723 p.