Alors que la France fait l'objet d'une procédure judiciaire pour non respect de la Directive européenne de protection des oiseaux, ce décret introduit de sournoises subtilités juridiques afin de pouvoir y déroger en faveur des chasseurs.
Voici la réalité de l’hypocrisie au plus haut niveau de l’Etat, en matière de protection de la biodiversité, dès lors qu’il s’agit de favoriser les abus de la chasse en France.
Extrait du Décret n° 2020-612 du 19 mai 2020 du Ministère de la transition écologique et solidaire précisant les modalités de mise en œuvre des dérogations prévues aux articles L. 424-2 et L. 424-4 du code de l’environnement pour la chasse de certains oiseaux de passage :
Art. 2. – Après l’article R. 424-15 du code de l’environnement, il est inséré un article R. 424-15-1 ainsi rédigé: « Art. R. 424-15-1. – Pour l’application des dispositions du troisième alinéa des articles L. 424-2 et L. 424-4, l’utilisation de modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels est autorisée dès lors qu’elle correspond à une exploitation judicieuse de certains oiseaux.»
Vous n’y comprenez rien ou pas grand chose ?
Rassurez-vous c’est normal ! C’était l’objectif de celui qui « tenait la plume » pour le Ministère en principe en charge de l’écologie, à savoir le Président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) Willy Schraen ; il s’en était d’ailleurs vanté sur Facebook : « La rédaction proposée répond à la demande de la FNC (…) Ce décret va permettre de mieux fonder les décisions que le ministre sera amené à prendre pour la prolongation dérogatoire de la chasse des oies et les quotas des chasses traditionnelles. »
Sous son apparence anodine et technocratique, ce décret publié au Journal Officiel le 23 mai est en fait une énième tentative des lobbies cynégétiques de faire prolonger la chasse aux oies migratrices en février, annulée à treize reprises par le Conseil d’Etat suite à des recours de la LPO, et de pérenniser les chasses traditionnelles, dont le piégeage à la glu, désormais qualifiées dans ce texte d’« exploitation judicieuse de certains oiseaux » et donc susceptibles de ne plus contrevenir à la Directive Oiseaux car conformes au vocable employé dans son article 9.1.c.
Déni de démocratie
La consultation publique obligatoire préalable au décret, à laquelle la LPO avait appelé ses sympathisants à participer en novembre dernier, a recueilli 13752 avis recevables dont 57% étaient défavorables au projet, pourtant maintenu en l’état. Ce nouveau déni de démocratie participative fait écho au rapport rendu en décembre dernier par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) qui relevait les dysfonctionnements de ces consultations, notamment l’absence de prise en compte de leur résultat.
Alors que, suite à une plainte de la LPO, la France a fait l'objet de l'ouverture d'une infraction de la part de la Commission européenne pour avoir contrevenu à la Directive Oiseaux en autorisant la chasse aux oiseaux migrateurs en février et pour être le dernier pays à autoriser le piégeage des oiseaux avec de la glu, voici donc la réponse du gouvernement. Ce dernier fait en outre prendre des risques inconsidérés de recours devant la Cour de Justice de l'Union Européenne, avec des pénalités potentielles de plusieurs millions d'euros pour satisfaire à nouveau les lobbies de la chasse. Ce mépris à l’égard de la biodiversité et du droit environnemental se dessine à la veille d’accueillir, en janvier 2021 à Marseille, le Congrès mondial de l’Union international de conservation de la nature.
Il va devenir de plus en plus difficile pour la France, dernier pays européen à chasser un oiseau en danger comme le Courlis cendré et à piéger les oiseaux avec de la colle, de donner des leçons de préservation de la nature au reste du monde.