Retour sur le travail mené par le GEPOMAY (groupe d’étude et de protection des oiseaux de Mayotte) et la SEOR (société d'étude des oiseaux de la Réunion) qui permettra à terme d’évaluer l’impact des changements globaux et des politiques publiques sur la nature mahoraise.
C’est un vrai défi qu’a relevé le GEPOMAY avec l'aide de la SEOR. En effet, la mise en place d’un programme de suivi des oiseaux communs (STOC), prévu initialement pour la métropole, dans un milieu insulaire et dans un contexte aussi particulier que celui de Mayotte n’est pas une mince affaire. Dans l’interview qui va suivre, l'association mahoraise raconte le déploiement du suivi temporel des oiseaux communs sur ce petit territoire d’outre-mer doté d’une grande diversité d’oiseaux.
Dans le contexte propre à Mayotte, quel est l’état actuel des connaissances sur l’avifaune ? Quelles menaces et pressions pèsent sur celle-ci et comment se portent les espèces endémiques ?
Le GEPOMAY : « Dans les années 2000, l’ornithologue Gérard Rocamora a mené plusieurs études pour inventorier l’avifaune côtière, forestière et des zones humides de Mayotte. Depuis sa création en 2010, le GEPOMAY cible quelques espèces pour ses suivis : les ardéidés et notamment le héron Crabier blanc, les limicoles, les sternidés et d’autres espèces rares et menacées comme le Râle de Cuvier ou le Faucon pèlerin. Les connaissances sur ces espèces telles que la phénologie, la répartition, l’abondance ou les menaces sont de plus en plus développées. De façon plus générale, la liste rouge des oiseaux de Mayotte est sortie en 2014 et la liste actualisée des espèces d’oiseaux de Mayotte, en 2019 grâce à un gros travail du Comité d’Homologation Régional, avec 151 espèces recensées entre 2010 et 2018.
Les menaces auxquelles font face les oiseaux à Mayotte sont multiples : perte de l’habitat, dérangements, espèces exotiques envahissantes (notamment le rat (Ratus ratus), pollutions, braconnage). Actuellement, il est encore difficile d’évaluer les impacts de ces menaces sur les oiseaux communs et notamment sur les espèces endémiques. »
Parlez-nous un peu de l’historique du STOC à Mayotte, de ses objectifs et de son rôle dans l’acquisition de connaissances sur l’avifaune insulaire.
Le GEPOMAY : « Un premier protocole STOC avait été mis en place à Mayotte entre 2007 et 2013, il était réalisé par le Conseil Départemental accompagné du Museum National d’Histoire Naturelle. Le protocole appliqué était exactement le même que celui de la France métropolitaine mais après des analyses par le GEPOMAY en 2019, il s’est avéré que celui-ci n’était pas adapté à l’île de Mayotte : différents biais restaient à corriger et ne permettaient pas de conclure sur les résultats de cette période.
C’est donc le GEPOMAY qui a repris le programme de sciences participatives en 2019 avec la nécessité d’ajuster le protocole pour Mayotte. Pour cela, l’association s’est fait accompagner par la Société d’Études Ornithologiques de La Réunion (SEOR) dans le cadre d’un compagnonnage TeMeUm début 2020. Grâce à cet accompagnement, un protocole adapté au territoire a pu être développé dès la saison de reproduction 2020/2021 et le STOC a recommencé grâce à la participation de neuf observateurs : huit bénévoles et un salarié du GEPOMAY.
Un premier rapport a été rédigé en début d’année, de nouveaux bénévoles ont été recrutés et la saison 2021/2022 comptera vingt observateurs, ce qui correspond aux objectifs fixés en début d’année ! De plus, le GEPOMAY a formé cette année « Les Naturalistes de Mayotte » pour démarrer un suivi sur la RNN de l’îlot de M’Bouzi. Plus les observateurs seront nombreux, plus le territoire pourra être couvert et plus les résultats seront robustes. Grâce à ce travail d’amélioration des connaissances sur l’avifaune mahoraise, le territoire possèdera, à moyen terme, un puissant indicateur de l’état de santé de la biodiversité et un outil d’aide à l’aménagement et la gestion du territoire. »
Le protocole STOC a été refondu en 2020, qu’est-ce qui a provoqué ce changement ? Il s’inspire du STOC EPS pratiqué en métropole, quelles adaptations doivent être faites aux conditions spécifiques de Mayotte ?
Le GEPOMAY : « Le GEPOMAY accompagné de la SEOR adapte effectivement le protocole STOC à l’île de Mayotte pour l’année 2020. Cette refonte permet de diminuer les biais possibles au niveau des résultats, de représenter justement les différents milieux du territoire et d’adapter la charge de travail des observateurs. Il a notamment fallu :
Parlez-nous des participants au STOC à Mayotte : quel est leur profil ? Qu’est-ce qui les motive à s’impliquer ? Comment les avez-vous recrutés ? Quel est leur niveau de compétence ?
Le GEPOMAY : « Les participants au STOC de Mayotte sont des adhérents du GEPOMAY. Majoritairement, ces observateurs sont enseignants ou travaillent dans l’environnement, ils ont tous un attrait pour la nature et la vie sauvage de Mayotte. Les bénévoles n’ont pas forcément de formation naturaliste, nous les formons à reconnaître les oiseaux communs et leurs chants. Nous en avons rencontré lors d’événements locaux ; d’autres ont répondu à l’appel sur notre newsletter et nos réseaux sociaux. L’intérêt est vif pour ce genre de projet, les participants se sentent impliqués et ont un vrai rôle à jouer. »
Témoignages d’observateurs bénévoles
Soumaila Abdou : « Je travaille dans la Direction des Ressources Terrestres et Maritimes, Service des Ressources Forestières du Conseil Départemental. Les forêts, que je fréquente donc régulièrement, accueillent de nombreux oiseaux et ça me plaît. C’est ce qui me motive pour le STOC : j’observe les oiseaux dans la nature et j’ai envie que cela continue. »
Annabelle Morcrette : « En tant que gestionnaire de forêts publiques à Mayotte, c'est à la fois une part intégrante de mes missions et un plaisir de participer au développement des connaissances sur l'avifaune locale. Si je suis déjà sensibilisée aux questions d'environnement et accoutumée aux inventaires en milieu naturel, je ne suis cependant pas spécialiste de l'avifaune et le programme STOC a été pour moi une formidable opportunité d'élargir mon champ de compétence. Forte de sa bonne connaissance du territoire mahorais, je pense que l'équipe du GEPOMAY a su diffuser le protocole du STOC avec pertinence. Je suis heureuse de participer à ce programme, et curieuse d'en voir les premiers résultats. »
En tant que coordinateurs, quelles difficultés et opportunités rencontrez-vous pour mettre en place un tel suivi à long terme ?
Le GEPOMAY : « La coordination d’un tel projet n’est pas toujours évidente mais reste un plaisir. Nous travaillons entre passionnés de la nature et avons un objectif commun. Les bénévoles ont une vie et un travail à côté du STOC, le GEPOMAY aussi a d’autres projets en cours. Il est parfois difficile de s’accorder pour se retrouver sur le terrain ou même autour d’un café. Nous nous devons également de donner des dates limites pour respecter le protocole, en espérant que chacun aura la possibilité de les respecter, sinon les observations ne peuvent être prises en compte. Enfin, sur une île comme Mayotte, des métropolitains qui souhaiteraient s’impliquer ne restent généralement que peu d’années, ce qui ne correspond pas aux nécessités du STOC : avoir un engagement des observateurs sur une durée de cinq ans minimum. Nous nous sommes donc principalement tournés vers les Mahorais, qui restent plus longtemps sur le territoire et deviennent, par ce projet, des ambassadeurs de la biodiversité à Mayotte. Il y a bien sûr plusieurs avantages à travailler avec un réseau de bénévoles : de nouveaux points de vue, des observations inédites, des avis différents,… Les participants au STOC ne réfléchissent pas toujours comme nous et nous apportent un peu de fraîcheur, des idées nouvelles. C’est très positif pour l’association. »
Les premiers résultats descriptifs obtenus avec le nouveau protocole ont fait l’objet d’un premier bilan. Quels sont, de votre point de vue, les éléments les plus marquants ? (par exemple, diversité spécifique, espèces les plus contactées et les moins contactées, occurrence spécifique) Avez-vous eu des surprises et/ou des interrogations en lien avec ces résultats ?
Le GEPOMAY : « Dans un premier temps il est important de préciser que les analyses effectuées sur cette première année ne sont, pour le moment, que des analyses descriptives. Ce ne sera qu’après plusieurs années que nous pourrons comparer les données du STOC pour dégager des tendances d’évolution des populations et faire un lien avec l’état de santé des écosystèmes. Nous ne pouvons, à ce stade, qu’émettre des hypothèses qui se vérifieront ou non dans le temps.
La première saison de ce nouveau protocole nous a tout de même réservé quelques surprises. Par exemple, le Héron garde-bœufs, qui est une espèce très commune en milieux urbains et agricoles, a été peu contacté l’année dernière avec huit observations seulement sur les neuf itinéraires. Une occurrence de Moineau domestique a également été reportée en forêt. Étant donné le caractère exclusivement urbain de cette espèce, cette observation est très étonnante. S’il est possible que cette observation soit une erreur, ne nous pouvons pas totalement l’exclure, c’est aussi ça le jeu des sciences participatives.
Un autre résultat marquant, mais pas si étonnant, est la très grande occurrence du Martin triste, une espèce exotique. Son caractère invasif n’a pas encore été réellement étudié à Mayotte mais il est certain que c’est une espèce très commune et le premier bilan va dans ce sens. Sur la saison dernière, on compte 339 individus contactés sur l’ensemble des itinéraires, l’espèce est présente sur tous les itinéraires et observée sur 81 des 90 points d’observation. C’est de loin l’espèce la plus contactée. Vient ensuite le Zostérops de Mayotte avec 108 observations, un oiseau que l’on observe beaucoup dans les forêts sèches.
Pour finir, une conclusion importante sur laquelle nous avons travaillé suite à ce bilan est la description des habitats. En effet, il n’y a pas de délimitation très claire entre les milieux agricole et forestier. Le bilan décrit beaucoup d’observations d’espèces considérées forestières dans des milieux caractérisés comme agricoles. Il s’agit de clarifier l’appréciation des habitats. »
Quels sont les prochaines perspectives et améliorations pour le STOC ?
Le GEPOMAY : « Suite à la première année du STOC à Mayotte, nous avons déjà mis en place des améliorations du protocole. Premièrement, la description détaillée des milieux sur un itinéraire ne se fera plus par l’observateur de cet itinéraire mais par un salarié du GEPOMAY. En effet, cette description varie d’un observateur à l’autre. Désormais, seul l’observateur du GEPOMAY décrira les milieux de façon précise (pourcentage du couvert végétal en milieu agricole, présence d’espèces exotiques envahissantes en forêt, …). Les observateurs bénévoles relèveront uniquement les changements de milieu soudains et conséquents en fournissant des photographies à l’animateur du programme STOC.
Deuxièmement, le protocole évolue d’un passage par an entre octobre et novembre à deux passages par an entre octobre et décembre et espacés d’un mois. Cette modification permettra de détecter d’éventuels décalages des activités de l’avifaune.
La saison 2021/2022 s’annonce positive avec douze nouveaux observateurs bénévoles et la totalité des itinéraires attribués. Son bilan sera rédigé début 2022 et nous permettra peut-être de souligner de nouvelles améliorations à mettre en place. La question d’itinéraires supplémentaires se pose également suite au succès du recrutement de bénévoles cette année. Il faudra bien sûr considérer la praticabilité de ces nouveaux itinéraires d’observation. »
Auriez-vous un dernier mot ou un message à faire passer aux participants, actuels et futurs, Mahorais(e) et/ou métropolitains ?
Le GEPOMAY : « Par-dessus tout et une fois de plus, nous souhaitons remercier les participants pour leur engagement : le STOC existe grâce à eux et ils seront à l’origine des résultats obtenus.
Nous avons d’ailleurs invité tous les observateurs actuels du STOC de Mayotte à une rencontre conviviale dans les locaux du GEPOMAY ce dimanche 26 septembre. Ce fut un très bon moment et nous avons constaté que même les observateurs sur liste d’attente ont souhaité être présents ! Les participants sont fiers de ce qu’ils accomplissent et souhaitent s’impliquer, c’est vraiment ce que nous souhaitons. Nous faisons de belles rencontres et cela nous permet d’entrevoir la création d’un réseau engagé et sympathique. »