Vendredi 30 août, la ministre Elisabeth Borne a signé un arrêté autorisant la chasse de 18 000 Tourterelles des bois. Une décision contre nature, qui en dit long sur la persistance du lobby cynégétique en France. Après avoir obtenu l’arrêt de la chasse du Courlis cendré menacé au niveau européen, la LPO se retourne à nouveau devant le Conseil d’Etat pour la Tourterelle des bois menacée au niveau mondial.
Toutes les conditions étaient pourtant réunies pour suspendre enfin la chasse de la Tourterelle des bois qui a perdu 80% de ses effectifs :
Un plan d’action international pour la conservation de la Tourterelle des bois, coordonné par BirdLife International dans le cadre de l’EuroSAP, projet préparatoire de 16 programmes LIFE visant à mettre fin aux pressions des espèces les plus menacées en Europe, financé par la Commission européenne, par l’AEWA et par chacun des partenaires du projet, a été développé à partir de 2016. L’objectif global de ce plan est de rétablir le statut de conservation de la Tourterelle des bois, actuellement classée vulnérable (VU) dans les listes rouges mondiale, européenne et nationale de l'UICN, afin de donner une nouvelle chance à l’espèce. Ce plan, à l’appui d’une analyse de l’ONCFS (annexe 4), démontre que les prélèvements effectués sur la population occidentale européenne de Tourterelle (d’un taux de prélèvement cumulé estimé à 16-23% de la population avec plus d’un million d’oiseaux tués chaque année), ne sont pas soutenables et qu’il convient d’« instaurer un moratoire temporaire sur la chasse jusqu'à ce qu'un cadre de modélisation de la gestion adaptative des prélèvements (action 3.2.1) soit développé » (action 3.1.1 du plan).
La France s’était alors opposée à ce projet de moratoire.
En 2018, la Commission européenne avait demandé aux Etats membres de suspendre la chasse de cet oiseau inscrit par l’UICN sur la liste rouge des espèces menacées au niveau mondial. La France avait dans un premier temps répondu qu’elle répondrait à cette demande après le 14 septembre. C’est-à-dire après le pic migratoire permettant aux chasseurs d’en tuer près de 100 000. Dans un second temps la France avait prétexté de la mise en place d’une « gestion adaptative » pour reporter à la saison 2019-2020 sa décision.
En mai 2019, le Comité des experts de la gestion adaptative a conclu à la nécessité de stopper la chasse de cette espèce dans les termes suivants : « Étant donné le déclin prononcé et continu de la Tourterelle des bois (Streptopelia turtur) depuis 40 ans, espèce inscrite sur la liste rouge mondiale de l’UICN, la solution à préconiser pour maximiser les chances d’une stabilisation des effectifs à court terme, et permettre une éventuelle restauration des effectifs à des valeurs proches de celles observées dans les années 2000, sur le long terme, passe par la mise en place temporaire de quotas de prélèvement fixés à 0. Les modèles démographiques développés par la plateforme de gestion adaptative ONCFS-MNHN indiquent que, même dans cette configuration restrictive, la probabilité que le déclin de la population se poursuive reste élevée (43%). »
Devant cet avis scientifique, le ministère normalement chargé de protéger les espèces, exigeait dudit comité qu’il refasse ses calculs pour arriver à un quota positif. Le chiffre de 18 000 prélèvements fut ainsi sorti des modèles populationnels de la plateforme technique du CEGA en précisant que la probabilité de stabiliser les populations équivaut alors à une chance sur deux, et qu’elle dépend de la bonne disposition des autres pays à réduire également leurs prélèvements !
Avec plus de 11 000 contributions, les résultats de la consultation publique furent, malgré la mobilisation des chasseurs, sans ambiguïté : les Français s’opposent très majoritairement à la poursuite de la chasse d’espèces en danger comme la Tourterelle des bois ou le Courlis cendré.
La France a récemment fait l’objet de l’ouverture d’une procédure d’infraction par la Commission européenne, pour défaut de protection de la Tourterelle des bois.
Le président Emmanuel Macron s’était engagé par écrit auprès de la LPO lorsqu’il était candidat, à retirer les espèces en mauvais état de conservation de la liste des espèces chassables. Et il ne le fait même pas pour l’espèce la plus gravement menacée ?!
Allain Bougrain Dubourg a redit son indignation et son incompréhension à la ministre Elisabeth Borne et la secrétaire d’Etat Emmanuelle Wargon qu’il a rencontrées le 30 août : « La France ne va pas pouvoir encore longtemps prétendre être moteur pour la biodiversité dans le monde comme on l’a vu récemment à propos de l’Amazonie ou lors de la dernière CITES (éléphants, girafes, etc.), et laisser détruire son patrimoine naturel le plus menacé. Elle devra en rendre compte devant la Commission européenne, le Congrès mondial de l’UICN et la COP15 en Chine en 2020. Les grandes ONG seront là pour rappeler la France à ses propres responsabilités ».
Tourterelle des bois (Streptopelia turtur) - Crédit photo : Christian Taillandier
La LPO a engagé un recours devant le Conseil d’État pour faire annuler l’arrêté litigieux.