Changer les idées reçues sur le Moyen-Orient grâce à la conservation de la nature
Par Dima Obeidat (Birdlife Moyen-Orient)
De nombreuses idées reçues persistent dans les représentations médiatiques internationales du Moyen-Orient, faisant de cette région l'une des plus mal comprises du monde. Dans ce document, nous en révisons six en utilisant des exemples de travaux de préservation des milieux naturels mis en place dans la région.
Tout d’abord, c’est quoi exactement le Moyen-Orient ? Le terme a été appliqué à un mélange de pays et de régions où les frontières politiques sont aussi mouvantes que les dunes. Pour Sharif Jbour, du bureau BirdLife Moyen-Orient basé à Amman en Jordanie : « Le Moyen-Orient est souvent considéré comme étant constitué par les pays de la péninsule arabique, l'Iran, l'Afghanistan et l'Égypte. Pour certains, il est connu comme étant le berceau de la civilisation et l’origine des religions monothéistes; pour d’autres c’est une région de conflits interminables et pour beaucoup c’est le désert et du pétrole. Le terme lui-même et son origine « eurocentrique » sont controversés. Sur le plan économique, il comprend certains des pays les plus riches du monde mais aussi certains des plus pauvres. »
Le Moyen-Orient est un vaste désert
Contrairement à la croyance populaire, le Moyen-Orient est constitué de nombreuses « écorégions » qui offrent une vaste gamme d’espèces fascinantes et une topographie à couper le souffle. « Il s’agit notamment des forêts de feuillus de conifères de la Méditerranée orientale où les défenseurs de la nature conservent les cèdres géants du Liban, des prairies et des brousses arides syriennes, des zones boisées et des prairies montagnardes de haute altitude où se trouve l‘essentiel de la faune et de la flore endémiques du Moyen-Orient, dont la sous-espèce du Léopard d’Arabie », explique Sharif Jbour. S’il y a en effet beaucoup de déserts, leurs caractéristiques biologiques sont variées : arbustes mésopotamiens, arbustes et sable en Arabie orientale et quatre autres types de désert d’Arabie. Mais vous pouvez faire de l’écotourisme, du canyioning et observer les oiseaux dans les oueds aux eaux cristallines de Jordanie ou explorer les récifs coralliens de la péninsule arabique à la rencontre des requins, des tortues et des seiches.
La région est trop occupée par les conflits pour s’intéresser la nature
Avec les conflits en Syrie, au Yemen, en Irak et la crise croissante des réfugiés, il est facile de ne voir que les aspects négatifs de la région. Mais la nature - que ce soit sa diversité et sa beauté, ou les bénéfices qu’elle procure - est un moyen de rassembler les gens et de redonner de l’espoir. Ainsi, dans la région de la Bekaa occidentale au Liban, un projet a récemment été lancé dans le but de faire revivre une méthode islamique traditionnelle de gestion des terres, appelée Hima, visant à donner aux jeunes les moyens de devenir des leaders du changement dans la protection de leurs ressources en eau tout en préservant les habitats naturels. A Faqou, dans une région très pauvre et aride de la Jordanie, la technologie hydroponique est utilisée collectivement pour assurer l’alimentation du bétail de la population locale, réduisant la pression sur les terres au bénéfice de la faune sauvage, et plus spécifiquement du Bouquetin de Nubie. Cette année, BirdLife a réuni des scientifiques, des politiciens et des bailleurs de fonds à Abou Dhabi, aux Émirats Arabes Unis, pour le tout premier sommet international sur les voies de migration basé sur une approche collaborative favorisant la conservation transfontalière des oiseaux migrateurs.
Les femmes du Moyen-Orient sont opprimées et inactives
A l’inverse, de nombreuses femmes du Moyen-Orient sont des personnes instruites, ambitieuses et influentes de la société qui occupent des postes clés dans des organisations de protection de la nature de la région. La professeure Magda Bou Dagher Kharrat les incarne parfaitement. Présidente du département des sciences de la vie et de la terre de l’Université Saint-Joseph, Magda cumule plusieurs rôles: conférencière, phytogénéticienne et cofondatrice de Jouzour Loubnan, une ONG libanaise de reboisement de terres dégradées. Son travail a également permis de créer des micro-réserves végétales uniques au Liban pour protéger des plantes en danger telles que l’Iris Sofarana : « En tant que scientifiques, nous avons pour mission de sensibiliser le public à la richesse unique de la région et de renforcer les compétences des communautés locales afin de gérer et protéger leur biodiversité », dit-elle.
La mer Morte est dépourvue de vie
En dépit de son nom, la Mer Morte n’est pas sans vie : des oiseaux tels que le Cratérope écaillé (Argya squamiceps) et le Moineau de la Mer Morte (Passer moabiticus), menacés par la perte et la dégradation de leur habitat, sont adaptés à la vie dans les basses terres arides et les arbustes qui l’entourent. Sur place et malgré des conditions rudes et sèches, une société d'agriculteurs jordaniens s'est associée à la Société Royale pour la Conservation de la Nature (RSCN, représentant BirdLife en Jordanie) pour replanter des arbres indigènes, offrant ainsi un refuge sûr à ces oiseaux, tout en contribuant à un approvisionnement durable en eau. Les habitants considèrent ce projet, appelé Eco-Park de Sweimeh, comme un emblème de leur patrimoine « confisqué ». Pour Khalid Al-Ja’arat, président de l'association Sweimeh Charity : « Pendant des décennies, nous avons été obligés de nous retirer des zones où nous cultivions et faisions de l’élevage tandis que de puissantes entreprises remplaçaient nos fermes par des hôtels et des complexes touristiques de luxe. C’est pourquoi le Sweimeh Eco-Park est si important pour nous car ses oiseaux et ses arbres représentent notre patrimoine et notre culture ».
Le Moyen-Orient : c’est le pétrole
Même si la région compte parmi les plus grands producteurs de pétrole au monde, le secteur des énergies renouvelables a connu une croissance remarquable. Les gouvernements du Moyen-Orient se sont engagés à atteindre d’ici 2020 des objectifs chiffrés en la matière : 20% pour l'Egypte et la Jordanie, 12% pour le Liban et 10% pour l'Arabie Saoudite . Cela se traduira par la construction supplémentaire de parcs éoliens et de lignes électriques, ce qui peut mettre en danger les oiseaux qui traversent la région. Le projet BirdLife Migratory Soaring Birds a donc été créé pour soutenir la transition de la région vers les énergies renouvelables tout en prenant en compte les préoccupations relatives aux oiseaux et à la biodiversité.
Le Moyen-Orient n'est pas une priorité pour la conservation de la biodiversité
Le Moyen-Orient est un pont majeur reliant deux continents et une voie de migration extrêmement importante pour les oiseaux migrateurs. Pas moins de 400 zones clés pour la biodiversité au Moyen-Orient sont spécialement désignées pour conserver les espèces prioritaires et leur habitat, y compris des espèces rares comme le Vanneau sociable, le Faucon sacre, l'Outarde Houbara, le Vautour percnoptère et des mammifères comme le Phoque moine de Méditerranée. BirdLife accroit sa présence au Moyen-Orient pour s’adapter à l’émergence des priorités en matière de conservation. Aujourd'hui, neuf partenaires et affiliés de BirdLife et plus de 14 projets sont financés par le CEPF dans la région, dont certains atteignent même les communautés les plus éloignées qui n’avaient pas les capacités de défendre leurs causes auparavant. Il y a une volonté croissante de la population à devenir un acteur du changement et ainsi lutter contre les idées reçues.
Plus d'informations sur www.birdlife.org/cepf-med
Le Moyen-Orient
États inclus : Bahreïn*, Chypre*, Égypte*, Iran, Irak*, Israël*, Jordanie*, Koweït*, Liban*, Oman, Palestine*, Qatar*, Arabie saoudite*, Syrie*, Turquie*, Emirats Arabes Unis (EAU), Yémen
* Partenaire BirdLife
Population humaine : 371 millions
Nombre d'espèces d'oiseaux indigènes : 621 (région du Moyen-Orient définie par BirdLife)
Oiseaux indigènes les plus rares : Le Moineau d'Abd'Al-Kuri (VU) et la Rousserolle d'Irak (EN)
Top 3 des langues : l’arabe, le persan, le turc. L’anglais et le français sont les secondes langues communes